ALLIANCE INTERNATIONALE DES RÉCUPÉRATEURS

L'Alliance Internationale des Récupérateurs est une union de organisations de récupérateurs représentant plus de 460 000 travailleurs dans 34 pays.
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Préparatifs en vue d’une réunion sur un site de décharge à Soshanguve, Tshwane. Foto: Melanie Samson.

Préparatifs en vue d’une réunion sur un site de décharge à Soshanguve, Tshwane. Foto: Melanie Samson.

Par Melanie Samson

Pendant les années 1990, la municipalité de Tshwane en Afrique du Sud a tenté plusieurs projets manqués pour aider les récupérateurs. À titre d’exemple, les municipalités en Afrique du Sud ont engagé les récupérateurs pour fabriquer des produits artisanaux à partir de matériaux recyclables. Dans un autre cas, une entreprise privée de gestion des déchets a aidé les récupérateurs à établir des coopératives et à diriger des centres de rachat pour les coopératives. Par contre, ces échecs ont mené à un résultat positif, puisque les récupérateurs ont formé par la suite des comités de décharges. C’est ainsi qu’ils ont pu lancer le processus.

Mais pendant cette période, quelles leçons et possibilités ont-elles émergé vis-à-vis l’organisation?

Leçons et possibilités

Tout d’abord, il est devenu évident que les projets ne pouvaient pas s’en tenir à la vente de produits fabriqués à partir de matériel recyclable s’ils voulaient assurer des revenus stables aux récupérateurs.

De plus, cette histoire démontre que les récupérateurs rendent un service utile puisqu’ils prolongent la durée de vie des décharges et réduisent l’espace aérien qu’ils occupent. Donc, si la municipalité ne peut pas ou ne veut pas offrir d’emplois aux récupérateurs, ou encore si ces derniers préfèrent travailler à leur compte, elle devrait offrir de les rémunérer pour les services qu’ils lui rendent en réacheminant du matériel recyclable des décharges.

À Diadema au Brésil, par exemple, le gouvernement local verse aux coopératives de récupérateurs la même somme qu’il paie aux entreprises d’élimination des déchets pour chaque tonne de matériel recyclable qu’ils réacheminent de la décharge.

Une autre leçon serait que les municipalités devraient aider les coopératives démocratiques et dirigées par les récupérateurs à prendre de l’essor en invitant des organisations ayant de l’expérience en matière de création de coopératives. Ces dernières pourraient les appuyer et les aider à développer les compétences requises pour diriger les coopératives. Les municipalités devraient seulement incorporer les experts de l’industrie en matière de recyclage et de déchets lorsqu’il leur faut de l’aide pour des questions techniques.

Le gouvernement local devrait aussi reconnaître que les récupérateurs travaillent sur un terrain municipal et qu’ils fournissent un service essentiel à la municipalité en leur offrant de l’équipement de sécurité tel que des salopettes, des gants de protection et des chaussures de sécurité.

La création de comités

Dans le cadre des projets municipaux, les récupérateurs de Tshwane ont reçu de l’aide pour la création de comités pour chacune des décharges. Lorsque les projets municipaux se sont effondrés, ils ont continué à s’organiser de façon indépendante en créant des comités autogérés pour améliorer leurs conditions. En 2009, ils ont formé un réseau de comités à l’échelle de la ville appelé la Révolution de recyclage Rekopane (RRR). Ce réseau se compose de membres des comités représentant les sept décharges publiques et l’unique décharge privée.

Ces comités fonctionnent de façon informelle. Ils n’ont pas d’élections périodiques ni de d’actes constitutifs. N’empêche, il s’agit de forces puissantes jouissant de l’appui de la plupart des récupérateurs des décharges. Les comités se composent généralement de 11 à 16 membres, y compris un(e) président(e), un(e) sous-président(e), un(e) secrétaire, un(e) sous-secrétaire et un(e) trésorier(ière).

Les femmes et les hommes y sont représentés de façon égale, bien qu’il existe toujours des idées reçues sur les rôles à remplir de part et d’autre. Les hommes plus âgés sont généralement élus présidents puisque les gens ont l’impression qu’ils possèdent l’autorité pour appliquer les décisions, alors que les femmes servent d’adjointes ou de membres générales. Les travailleurs étrangers ont tendance à ne pas faire partie des comités. La RRR devra songer à offrir aux femmes un traitement véritablement équitable et à représenter tous les récupérateurs dans les décharges, peu importe leur ethnicité ou leur nationalité.

Les membres donnent plusieurs raisons pour avoir choisi de se joindre au comité. Entre autres, mettre de l’ordre dans la décharge et travailler de façon responsable et collaborative avec d’autres. Aussi souhaitent-ils lutter pour défendre leurs droits et obtenir de meilleures conditions de travail, ainsi que prévenir la corruption.

Le développement des compétences a aussi beaucoup d’importance pour les récupérateurs. Ils souhaitent acquérir de telles compétences telles que l’art oratoire devant des groupes de personnes nombreuses, améliorer leur anglais et développer la confiance nécessaire pour traiter avec les autorités gouvernementales.

La RRR a expliqué que ses tâches prioritaires consistent notamment à créer des milieux sécuritaires et ordonnés en luttant contre la violence, le vol, l’alcool et les stupéfiants, et en s’assurant que les gens ne volent pas ni n’endommagent les camions qui viennent à la décharge. Ils souhaitent aussi mettre fin au harcèlement des femmes.

Les comités ont aussi exprimé le désir d’empêcher les nouveaux venus de travailler dans les décharges, disant qu’ils étaient prêts à leur faire violence. C’est certainement matière à réflexion pour les récupérateurs, qui ne doivent pas oublier qu’ils ont déjà été, eux aussi, des nouveaux venus désespérés.

Les membres songent à embaucher des gardiens de sécurité privés pour protéger leur matériel la nuit et à demander que les municipalités les reconnaissent officiellement en leur permettant notamment de négocier de meilleures conditions de travail.

Les comités souhaitent trouver de nouveaux acheteurs et partager l’information sur les prix avec d’autres décharges afin que les récupérateurs puissent négocier de meilleurs prix.

Réseau Tshwane: une autonomie véritable

C’est le besoin de mieux négocier les prix avec les acheteurs qui a donné naissance à l’idée de former la RRR. La RRR s’est organisée suite à la chute des prix découlant de la crise économique mondiale, ainsi que dû au fait que les acheteurs payaient différents prix à différentes décharges et tout en manipulant les différents récupérateurs.

Cependant, à mesure que se développe le réseau, il discute davantage de moyens pour transiger avec la municipalité ainsi que pour gérer et régler les problèmes propres à certaines décharges.

Par exemple, lorsqu’un récupérateur harcelait constamment les femmes, la RRR a débattu de la question puis a décidé qu’il ne pourrait plus travailler à la décharge. Le Réseau possède l’autorité pour appliquer de telles décisions.

Les représentants de tous les comités de décharge se rencontrent le premier jeudi de chaque mois pour discuter et présenter des questions qui les concernent tous. Chaque mois, la réunion se tient dans une décharge différente. Les récupérateurs hôtes fournissent un repas chaud et des rafraîchissements pour les délégués, et chaque décharge paie les frais de ses représentants.

Négocier avec les acheteurs

Le Réseau transige avec les acheteurs de différentes façons. Les récupérateurs se sont aidés entre eux lors des rencontres du réseau pour trouver de nouveaux acheteurs et pour établir des prix en commun. La RRR a invité des groupes d’acheteurs à assister à une rencontre pour leur expliquer leurs prix moins élevés et pour négocier une entente équitable.

Les acheteurs étaient impressionnés par le degré d’organisation manifesté par les récupérateurs ainsi que par le déroulement de la rencontre. Ils sont repartis avec une perception différente des récupérateurs. Par la suite, ils ont commencé à traiter les récupérateurs de façon plus sérieuse en tant que partenaires en affaires. De plus, en obligeant les acheteurs à leur expliquer la baisse des prix, les récupérateurs se sont renseignés sur les effets de l’économie mondiale sur leur secteur d’activité.

Les coopératives : éliminer les intermédiaires

Lorsque les récupérateurs ont compris à quel point ils étaient dévalorisés par les acheteurs, ils ont décidé de former des coopératives, d’acheter des véhicules et de l’équipement et de commencer à vendre directement aux fabricants.

Inspirés par les discussions du Réseau sur le pouvoir de l’organisation collective et de l’élimination des intermédiaires, les récupérateurs à la décharge Ondestepoort ont créé une coopérative appelée Yebo Rekopane Recycling (Oui, nous travaillons tous ensemble pour le recyclage). En 2010, la coopérative avait attiré 66 membres désireux d´acheter et à vendre du matériel, ainsi que d’acheter, grâce aux profits réalisés collectivement, un camion, une presse à compacter et un abri.

Le plus grand défi pour la coopérative sera de financer ses nouvelles activités. En utilisant les profits réalisés en broyant du verre (une nouvelle activité), la coopérative a profité des contacts du Réseau pour vendre le verre broyé, ce qui lui a ensuite permis d’acheter du plastique et d’embaucher une femme pour peser le matériel afin de le vendre en vrac aux acheteurs.

D’autres comités se sont inspirés de l’exemple d’Ondestepoort et souhaitent maintenant former leur propre coopérative. Ils partagent de l’information sur la création de coopératives lors des rencontres du RRR, et sont aussi en train de se renseigner sur les expériences vécues dans d’autres villes, à travers le South African National Waste Picker Network (Réseau national des récupérateurs de l’Afrique du Sud).

C’est grâce au partage des idées et de l’information, ainsi qu’au développement d’une une identité commune, que la RRR connaît des succès. Cela comprend l’élaboration de règlements communs sur la façon dont les récupérateurs peuvent prendre la responsabilité des décharges. Son identité collective lui a aussi permis de présenter à la municipalité un ensemble de revendications communes.

Bien que la municipalité n’y ait pas encore répondu, les récupérateurs sont d’avis que la RRR leur donnera la force et les connaissances requises pour bien négocier avec elle.

Même pendant sa toute première année, la RRR a connu beaucoup de succès. Elle a su négocier avec les acheteurs, former des coopératives, partager de l’information, développer une organisation et créer un front uni et solide.