octobre 04, 2012
Par Deia de Brito
Lors d’un évènement récent organisé par le National Movement of Waste Pickers in Brazil (MNCR), des représentants de différents mouvements et organismes sociaux ont parlé de l’expulsion des vendeurs itinérants, des sans-abri et des ramasseurs de déchets. Ces déplacements forcés sont à la hausse au Brésil à cause de la croissance économique considérable du pays. Le Brésil suit aussi l’exemple d’autres pays émergeants, en voulant accueillir les événements de grande envergure tels que la Coupe mondiale 2014 et les Jeux olympiques 2016.
Le panel, tenu dans l’espace du MNCR pendant le Sommet des Peuples, avait comme titre « Résister l’hygiénisation des centres urbains ». Maíra Vannuchi, une coordonnatrice de campagnes nationales chez StreetNet — une fédération internationale de vendeurs itinérants — a parlé de la lutte menée par le groupe contre la soi-disante « amélioration » des centres urbains. Vannuchi et d’autres coordonnateurs ont travaillé pour organiser les vendeurs itinérants dans d’autres villes hôtes avant la Coupe mondiale et les Jeux olympiques. En Afrique du Sud et en Inde – où se sont déroulés la Coupe mondiale et les Jeux du Commonwealth en 2010 – le déplacement forcé des vendeurs itinérants et des autres populations itinérantes ressemblait à un « tracteur qui enlevait tout le monde », a raconté Vannuchi.
Depuis 2006, la campagne StreetNet, appellée « World Class Cities for All », parle au nom des organisations souhaitant prévenir ce genre de non-respect de la part des gouvernements et des entreprises envers les travailleurs informels. L’organisation a lancé sa campagne au Brésil en 2010. Son travail comprend en partie l’offre de cours d’information politique auprès de vendeurs itinérants dans 7 des 12 villes hôtes à travers le Brésil. Elle a aussi joint ses efforts à ceux d’organisations locales et de mouvements sociaux; ainsi que participé au Comitê Popular da Copa: un comité des mouvements sociaux, d’ONG, d’institutions universitaires, de dirigeants et de membres communautaires. Le Comitê Popular da Copa se rencontre régulièrement pour discuter de ses objectifs, notamment de mobiliser la lutte contre les politiques qui excluent les travailleurs informels et de revendiquer des discussions démocratiques sur l’organisation équitable des événements de grande envergure. « La répression et la volonté de supprimer tout signe de pauvreté dans ces villes mènent à la disparition des vendeurs itinérants et d’autres populations vulnérables », a déclaré Vannuchi.
Parmi les projets de StreetNet était celui de déterminer le nombre de vendeurs itinérants qui existe dans les villes hôtes du Brésil. En 2009, lorsque le gouvernement municipal de Rio a commencé à exiger que les vendeurs obtiennent des permis pour travailler dans la rue, il a offert des permis à moins d’un tiers d’entre eux, laissant quelque 40 000 sans permis. Ces vendeurs risquent maintenant de perdre leur gagne-pain s’ils se font attraper en train de vendre dans la rue. « Le processus d’octroi de permis aux vendeurs itinérants était dans les faits un mécanisme “d’amélioration” de la ville » affirme Angela Rissi, une dirigeante de la Associação dos Expositores Das Feirartes e Outros (AEFO), une association d’artisans et de vendeurs itinérants.
Tandis que les grandes villes s’occupent à « embellir », « revitaliser » et trouver d’autres moyens d’attirer les investissements et le secteur privé, les militants provenant des populations touchées s’unissent pour présenter des revendications communes. En janvier 2012, la communauté de Pinheirinho—à São José dos Campos, São Paulo—a été violemment expulsée. La communauté vivait dans la région depuis huit ans, et pouvait le faire en vertu de la loi brésilienne, selon laquelle tout terrain n’ayant aucune fonction sociale peut servir de logement. Le terrain où résidait la communauté Pinheirinho appartenait à une entreprise en faillite, Selecta.
La police militaire et les gardes municipaux ont expulsé entre 3 000 et 9 000 familles de Pinheirinho. De nombreuses violations des droits de la personne par les employés municipaux et la police militaire ont été signalées, dont la violence excessive, la pression psychologique, le manque de services pour les enfants et les personnes âgées et la confiscation des biens. De nombreux résidents ont été hospitalisés; certains ont carrément disparu.
Bien entendu, les ramasseurs de déchets figuraient parmi les expulsés. Douze membres de la Cooperativa Futura, l’une des bases du MNCR, vivaient dans cette communauté. Trois cents autres ramasseurs de déchets étaient des résidents de la communauté et y travaillaient pour une association. Suite à l’expulsion de la communauté Pinheirinho, les résidents se sont retrouvés dans la rue, dans des centres d’accueil pour les sans-abri, chez leur parenté, et en train d’acheter des billets pour retourner à leur ville d’origine. À travers le Brésil, quelque 200 000 personnes sont menacées d’expulsion à cause des efforts « d’amélioration » associés à la Coupe mondiale et aux Jeux olympiques. Voilà pourquoi il est important que les communautés, les travailleurs et les mouvements sociaux s’unissent pour revendiquer leurs droits.
Les membres du mouvement brésilien de ramasseurs de déchets rencontrent les vendeurs itinérants depuis 2010, lorsque StreetNet a organisé un colloque au Sénégal. Des dirigeants de divers mouvements y ont rencontré les vendeurs itinérants et les ramasseurs de déchets, selon Madalena Duarte, coordonnatrice national du MNCR. À la fin du colloque, les participants ont rédigé et signé une lettre de soutien pour les vendeurs itinérants africains. En 2011, une autre lettre a été rédigée à São Paulo, visant à protéger les vendeurs itinérants et d’autres populations pendant la période précédant la Coupe mondiale au Brésil.
« De nombreuses communautés à faible revenu ont été déplacées au Brésil », affirme Duarte. « La revitalisation pour la Coupe mondiale fait souffrir les vendeurs itinérants, les ramasseurs de déchets, les sans-abri et les résidents des favelas. »
« Les vendeurs itinérants et les ramasseurs de déchets ont tous recours
à l’espace public pour survivre – la rue constitue le moyen de subsistence pour les populations les plus vulnérables sur le plan social », rajoute Vannuchi. « Pour StreetNet, le mouvement brésilien est une source de grande inspiration – chaque fois que je parle aux vendeurs itinérants, je leur parle des ramasseurs de déchets. »
Angela Rissi, de l’AEFO, (Associação dos Expositores Das Feirartes e Outros), a expliqué son admiration pour la victoire des ramasseurs de déchets, soit la création d’une politique nationale sur les déchets, devenue loi en 2010. Les vendeurs itinérants espèrent qu’une politique fédérale future fournira aux travailleurs informels de la sécurité sociale; protègera les travailleurs informels contre les expulsions violentes et la confiscation de leurs biens; et permettra l’octroi équitable de permis. Mais tout d’abord, les vendeurs itinérants tâchent de se faire reconnaître en tant que véritables travailleurs. Au Brésil, les ramasseurs de déchets ont obtenu cette reconnaissance en 2003 lorsque la catégorie a été rajoutée à la Politique nationale sur les travailleurs.
Nonobstant cette réussite, lorsque les villes décident d’améliorer les centres urbains, les vendeurs itinérants et les ramasseurs de déchets sont parmi les premiers travailleurs à être déplacés.
Tank Menezes, du Mouvement national des ramasseurs de déchets du Brésil, a fourni des exemples dévastateurs de sa propre ville. À Porto Alegre, une communauté urbaine appellée Chocolatão—soit le Grand Chocolat—existait depuis plus de 20 ans. Elle se composait d’environ 250 familles et environ 700 personnes. La communauté dépendait surtout du ramassage de déchets comme gagne-pain, recyclant les déchets produits par l’immeuble de justice fédéral avoisinant et le reste du centre-ville.
En 2011, dans le cadre des efforts d’embellissement avant la Coupe mondiale, la municipalité a expulsé et déplacé la communauté à un quartier de la ville situé à 10 kilomètres – au bord d’une ville avoisinante et à environ une heure et demi en autobus. Les ramasseurs de déchets qui travaillaient avec des charrettes n’ont pas eu le droit de les emmener au nouvel emplacement.
Selon Menezes, cette « revitalisation » – terme utilisé par la municipalité – est un processus continu depuis deux décénnies, déplaçant les communautés pauvres du centre-ville afin de faire de la ville une destination touristique.
« Les fonctionnaires parlent de la belle apparence des nouveaux appartements; mais en réalité, personne ne travaille maintenant, » a dit Menezes. « Cela n’a pas conféré de dignité puisque la communauté a perdu son lieu de travail. Ils ne savent pas où trouver les matériaux recyclables. Ils ne savent pas où demander de l’aide, ni trouver une clinique de santé. »
Même si la communauté Chocolatão manquait d’infrastructure, ses résidents vivaient près de nombreux services offerts au centre-ville. Selon son entente avec la communauté, la ville a construit un entrepôt de recyclage dans le nouveau quartier. Seulement 30 ou 40 des presque 700 résidents qui travaillaient comme ramasseurs de déchets ont la possibilité de travailler dans le nouvel entrepôt, qui n’a accepté qu’un nombre limité de travailleurs. De plus, ce centre « modèle » est trop petit, n’est pas muni du bon équipement et n’en a pas assez, est mal conçu et mal isolé, de sorte qu’il y fait très froid l’hiver et très chaud l’été.
Étant donné que la majorité de la communauté subsiste en ramassant des déchets et qu’ils n’ont pas réussi à trouver du travail dans le nouveau quartier, ils sont nombreux à quitter leur appartement pour aller travailler au centre-ville. Pendant ce temps, ils dorment dans la rue. Certains groupes tels que l’Association brésilienne de géographes et la faculté de droit de l’université Federal se sont impliqués dans cette situation, perçue au palier national comme étant une violation des droits de la personne.
« Il s’agit d’une répression extrêmement violente, sans recours à la négociation, » affirme Vannuchi. « Pour accueillir cette Coupe mondiale, ils doivent expulser les pauvres. Ils n’en discutent pas avec les communautés ni avec les mouvements sociaux. Ce processus de déplacement urbain répercute sur tout le monde. »
« Cette perspective mondiale est très importante à comprendre, » dit Seu Carlos Alencastro, un dirigeant national au sein du mouvement brésilien. « Ensemble, nous avons la force pour lutter contre ce problème. De nos jours, bien des gens parlent de la réforme urbaine. Nous ne pouvons plus en parler sans participer à la recherche d’une solution. »
« Les ramasseurs de déchets souffrent des mêmes problèmes que les vendeurs itinérants et les sans-abri, » affirme Madalena Duarte. « Il faut que nous luttions tous ensemble, malgré nos différences. »
Tião Rocha, membre du public, a dit : « D’après moi, Rio+20 commence et se termine avec cette question. Les droits de la personne n’ont jamais été respectés dans ce pays. Vingt-quatre ans de dictature ont ruiné ce pays. L’hygiénisation, c’est le contraire de l’humanité. »
« Ils font comme si les populations itinérantes étaient des déchets, » dit Maria do Carmo Santos, vendeuse itinérante et membre militante de MUCA (Mouvement unifié des vendeurs itinérants). « Nous n’avons pas accès aux soins de santé ni à l’éducation, et nous voilà expulsés de la rue. On nous permet de venir dans cette ville uniquement pour laver les petites culottes des femmes riches. Nous n’avons pas notre place dans cette ville. »
Tweet